Gabon : La dette publique vertigineuse s’envole au-delà des 8 600 milliards sous Oligui Nguema
Face à un nouvel état des lieux de ses finances publiques, le Gabon voit son endettement franchir un cap critique. Selon les données de la Direction générale de la dette (DGD), l’encours global s’établissait à 8 606,643 milliards de FCFA à fin octobre 2025, soit une hausse de 20,657 % par rapport à fin décembre 2024. En valeur, la dette a augmenté de 1 473,478 milliards de FCFA en moins d’un an, passant d’environ 7 133,2 milliards à plus de 8 600 milliards de FCFA.
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Cette accélération intervient alors que, dès les dernières années du régime Bongo, les institutions internationales alertaient déjà sur une trajectoire jugée préoccupante. Le ratio dette/PIB, qui avait reculé autour de 68–69 % en 2021–2022 après un pic supérieur à 75 % au plus fort de la pandémie de Covid-19, est reparti à la hausse pour flirter à nouveau avec les 72–75 % en 2023–2024. Autrement dit, la transition, puis l’élection de Brice Clotaire Oligui Nguema, se sont ouvertes sur un État déjà lourdement endetté.
Une structure de dette désormais moitié extérieure, moitié intérieure
La nouvelle ventilation publiée par la Direction générale de la dette et relayée ce mardi par l’AGP montre un profil désormais quasi équilibré entre dette extérieure et dette intérieure. Sur les 8 606,643 milliards de FCFA d’encours, 4 214,754 milliards concernent la dette extérieure (environ 49 %), contre 4 391,889 milliards pour la dette intérieure (environ 51 %).
Evolution récente de la dette publique du Gabon (en milliards de FCFA)
| Indicateur | Fin déc. 2024 | Fin oct. 2025 | Variation absolue | Variation % |
|---|---|---|---|---|
| Encours global de dette | 7 133,165 | 8 606,643 | +1 473,478 | +20,657 % |
| Dette extérieure | 4 168,381 | 4 214,754 | +46,373 | +1,113 % |
| Dette intérieure | 2 964,784 | 4 391,889 | +1 427,105 | +48,13 % |
La composante extérieure reste dominée par les institutions multilatérales, avec 1 646,677 milliards de FCFA, soit près de 39 % de la dette externe. Viennent ensuite les emprunts sur le marché financier international (1 397,619 milliards, 33 %), les créanciers bilatéraux (769,633 milliards, 18 %) et les dettes commerciales (400,826 milliards, 9 %). Ce profil reflète un recours constant aux bailleurs internationaux, aux banques de développement et aux marchés obligataires pour financer le budget de l’État.
Une dépendance massive au marché régional
Côté dette intérieure, la dépendance vis-à-vis du marché financier régional est manifeste. Sur les 4 391,889 milliards de FCFA d’encours, 3 218,504 milliards – soit environ 73 % – sont logés sur le marché de la Cemac. Le reste se répartit entre 446,911 milliards de dettes bancaires (10 %) et 726,474 milliards de dettes moratoires (17 %).
Structure de la dette publique à fin octobre 2025
| Type de dette | Montant (milliards FCFA) | Part dans la dette totale |
|---|---|---|
| Dette extérieure | 4 214,754 | 49,0 % |
| Dette intérieure | 4 391,889 | 51,0 % |
| Total | 8 606,643 | 100 % |
Cette configuration confirme la stratégie du nouveau pouvoir, qui a choisi de faire largement appel au marché régional pour refinancer l’État et desserrer une crise aiguë de liquidités. Une partie des anciens concours bancaires a été transformée en titres publics de plus longue maturité, ce qui améliore le profil de remboursement à court terme, mais accroît mécaniquement le stock de dette.
Une hausse portée par de nouveaux engagements
Selon la Direction générale de la dette, l’augmentation globale de 1 473,478 milliards de FCFA enregistrée entre fin 2024 et fin octobre 2025 « est principalement imputable à la progression des engagements nets ». L’encours de la dette extérieure enregistre à lui seul une progression de 46,373 milliards de FCFA, soit +1,113 %, portée notamment par l’augmentation des dettes commerciales et des engagements sur le marché financier international.
Composition de la dette extérieure (fin oct. 2025)
| Catégorie de dette extérieure | Montant (milliards FCFA) |
|---|---|
| Dettes bilatérales | 769,633 |
| Dettes commerciales | 400,826 |
| Dettes multilatérales | 1 646,677 |
| Marché financier international | 1 397,619 |
| Total dette extérieure | 4 214,754 |
Le reste de la hausse provient essentiellement du recours accru au marché régional et de la consolidation de dettes antérieures. Autrement dit, l’État a non seulement roulé une partie de ses engagements existants, mais aussi contracté de nouveaux emprunts pour financer ses besoins courants et ses projets d’investissement, au prix d’une marche supplémentaire dans l’endettement.
Le lourd héritage de l’ère bongo
La comparaison avec la période Bongo permet de mesurer l’ampleur de l’héritage. Sous Ali Bongo Ondimba, la dette publique a explosé avec le financement du Plan stratégique Gabon émergent (PSGE) et de nombreux projets d’infrastructures, souvent critiqués pour leur faible rentabilité ou leur inachèvement. Le ratio dette/PIB, estimé autour de 49 % en 2015, a progressivement grimpé pour dépasser les 70 % au tournant des années 2019–2020, avant de refluer légèrement puis de repartir à la hausse.
Composition de la dette intérieure (fin oct. 2025)
| Catégorie de dette intérieure | Montant (milliards FCFA) |
|---|---|
| Dettes bancaires | 446,911 |
| Dettes moratoires | 726,474 |
| Marché financier régional | 3 218,504 |
| Total dette intérieure | 4 391,889 |
La transition d’août 2023 et l’avènement de la Ve République n’ont donc pas ouvert une page financière vierge, mais plutôt prolongé une trajectoire déjà ascendante. Les chiffres de 2025 montrent que cette trajectoire n’a pas encore été inversée : l’encours continue de croître en valeur absolue et, sauf forte accélération de la croissance, le ratio dette/PIB devrait rester proche, voire au-dessus, des niveaux atteints en fin de régime Bongo.
Une équation politique et sociale de plus en plus délicate
Sur le terrain politique, cette dynamique crée une contradiction difficile à assumer. Le pouvoir issu de la transition se présente comme celui de la « rupture » avec la gestion jugée dispendieuse et opaque de l’ère Bongo. Mais l’augmentation rapide de l’endettement, combinée au maintien d’un niveau élevé de dépenses courantes et de grands chantiers à forte visibilité, interroge sur la réalité de la consolidation budgétaire.
Les marges de manœuvre pour financer les priorités sociales – éducation, santé, emploi, lutte contre la vie chère – risquent d’être comprimées par le poids croissant du service de la dette dans le budget de l’État. Dans un pays où le chômage des jeunes reste massif et où la pauvreté progresse, chaque franc CFA consacré au remboursement des créanciers est un franc qui ne va pas à l’investissement productif ou à la protection sociale.
Quelle utilisation de cette dette nouvelle ?
La question centrale devient alors celle de l’usage des 8 600 milliards de FCFA aujourd’hui inscrits au compteur. Si cette dette finance effectivement des infrastructures rentables, capables de soutenir la croissance, de diversifier l’économie au-delà du pétrole et de générer des recettes pérennes, l’augmentation actuelle pourra être justifiée comme un pari sur l’avenir.
En revanche, si une part significative de ces ressources est absorbée par des dépenses peu productives, des projets mal conçus ou des surcoûts récurrents, le Gabon s’exposera à un risque accru de non-soutenabilité et à une dépendance renforcée vis-à-vis de ses créanciers multilatéraux, bilatéraux et privés. Dans ce contexte, la transparence sur les contrats, les conditions d’emprunt et l’affectation réelle des fonds sera l’un des tests majeurs de la crédibilité de la Ve République.
Une rupture politique, mais pas encore financière
Alors que le pays cherche à tourner la page de plus d’un demi-siècle de régime Bongo, le dossier de la dette rappelle que la rupture ne se décrète pas. Elle se mesure, chiffres à l’appui, dans la capacité à stabiliser l’endettement, à mieux cibler les emprunts et à prouver que chaque nouveau milliard contracté sert réellement l’intérêt général.
Pour l’heure, les courbes racontent une autre histoire : la page Bongo est peut-être tournée sur le plan politique, mais, sur le terrain de la dette, le Gabon reste engagé sur une trajectoire ascendante dont il n’a pas encore trouvé la sortie.
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