Affaire Harold Leckat : Le procureur justifie des poursuites pour « escroquerie » mais reste flou

48h après l’incarcération du journaliste et patron de Gabon Media Time (GMT), Harold Leckat, le procureur de la République près le tribunal de première instance de Libreville, Bruno Obiang Mvé, a livré ce mercredi une brève déclaration censée clarifier les contours de l’affaire. Mais ses propos, bien que très attendus, n’ont guère dissipé les zones d’ombre autour d’un dossier qui suscite déjà de vives controverses dans l’opinion publique et au sein du monde médiatique gabonais.


Le procureur a confirmé que l’affaire trouve son origine dans une plainte déposée le 14 octobre par l’Agence judiciaire de l’État, agissant sur dénonciation des dirigeants actuels de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Cette plainte visait Harold Leckat pour « escroquerie et violation des procédures de passation des marchés publics », des faits qu’il a qualifiés de droit commun et non d’atteinte à la liberté de la presse.
Une procédure expéditive qui interroge
Selon le récit du procureur, le parquet a immédiatement saisi la Direction générale des recherches (DGR) pour l’ouverture d’une enquête préliminaire. Moins de 24 heures plus tard, le patron de GMT était interpellé, entendu, puis placé en garde à vue. Le 20 octobre, à peine six jours après le dépôt de la plainte, il était présenté au parquet, puis placé sous mandat de dépôt à la prison centrale de Libreville.
Chronologie de l’affaire Harold Leckat
Date | Événement clé | Détail |
---|---|---|
14 octobre 2025 | Dépôt de plainte de la CDC | L’Agence judiciaire de l’État saisit le parquet pour escroquerie et violation des marchés publics |
15 octobre 2025 | Interpellation | Harold Leckat est arrêté par la Direction générale des recherches |
16–19 octobre 2025 | Garde à vue prolongée | Audition du journaliste dans le cadre de l’enquête préliminaire |
20 octobre 2025 | Présentation au parquet | Placement sous mandat de dépôt à la prison centrale de Libreville |
22 octobre 2025 | Déclaration du procureur | Confirmation des poursuites pour infractions de droit commun |
À venir | Suite de l’instruction | Audition d’autres personnes et poursuite de l’enquête judiciaire |
Une célérité rare dans le traitement d’un dossier judiciaire au Gabon, qui soulève de nombreuses interrogations sur les motivations réelles de cette arrestation. Plusieurs observateurs estiment que cette rapidité « inhabituelle » traduit une volonté manifeste de neutraliser un acteur médiatique devenu gênant.
Des chefs d’accusation lourds mais imprécis
Le procureur a évoqué des faits « prévus et réprimés par les dispositions des articles 301 du Code pénal et 254 du Code des marchés publics ». Le premier concerne l’escroquerie, passible d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement lorsqu’elle porte sur des fonds publics ; le second sanctionne la violation des règles de passation des marchés, un délit souvent associé à des pratiques de favoritisme ou de surfacturation.
La déclaration du parquet du 22 octobre
Mais aucune précision n’a été donnée sur la nature exacte des marchés visés, ni sur les montants supposément en cause. Ce silence alimente les spéculations, d’autant que la CDC n’a pas encore communiqué officiellement sur les faits reprochés, ni sur les preuves soutenant sa plainte.
Un rappel juridique pour couper court aux critiques
Face à la vive émotion suscitée par cette affaire, Bruno Obiang Mvé a tenu à recadrer le débat. « Contrairement à l’information répandue, Harold Leckat n’est nullement poursuivi pour des délits de presse, mais pour des infractions de droit commun », a-t-il insisté. Par cette déclaration, le magistrat cherche à écarter toute accusation d’atteinte à la liberté d’expression, alors que plusieurs organisations de défense des journalistes — au Gabon et à l’étranger — dénoncent une instrumentalisation de la justice pour faire taire un média critique.
Le procureur a également invoqué l’article 4 du Code de procédure pénale, rappelant « le caractère secret de l’instruction », pour justifier son refus de livrer d’autres détails sur le contenu du dossier. Une posture qui contraste avec la forte attente d’explications précises, tant sur le plan judiciaire que politique.
Une affaire qui dépasse le simple cadre judiciaire
En dépit de la prudence du parquet, l’affaire Harold Leckat a pris une tournure nationale. Depuis sa mise en détention, le collectif SOS Prisonniers Gabon, ainsi que plusieurs organisations de journalistes, ont dénoncé une dérive judiciaire inquiétante et une criminalisation croissante de la presse indépendante. Selon eux, la rapidité de la procédure — plainte le 14, garde à vue le 15, incarcération le 20 — traduit une volonté de frapper fort pour intimider les voix critiques à l’égard du pouvoir.
Des juristes interrogés rappellent qu’en matière de soupçons économiques, une instruction approfondie et une expertise comptable contradictoire sont normalement requises avant toute mise sous mandat de dépôt. Rien de tel ne semble avoir été observé dans le cas présent.
Un flou persistant qui entretient les soupçons
En définitive, les « éclaircissements » du procureur Obiang Mvé apparaissent davantage comme une lecture procédurale que comme une réelle mise au point. L’absence de détails sur les marchés incriminés, le silence de la CDC, la célérité du traitement judiciaire et la détention préventive du patron de presse laissent planer un fort sentiment d’injustice.
Plusieurs observateurs estiment que cette affaire pourrait fragiliser la confiance du public dans l’indépendance du parquet, surtout dans un contexte où le gouvernement gabonais a affiché son attachement à la transparence et à la réforme de la justice.
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